La légende de Sainte-Radegonde
Tirée de l’ouvrage de Maurice PIBOUL « Histoire d’Evaux-les-Bains »
Le pèlerinage, le dimanche qui suit le 13 août est moins célèbre que celui de Saint-Marien. Mais il faut rappeler que le patron primitif de la paroisse de Châtillon d’Entraigues (« ou de Saint-Martin de Châteloy », vulgairement appelée Sainte-Radegonde, d’après A. Lecler), fut d’abord saint Martin, puis saint Marien, car on rencontre les deux noms dans les vieux textes, et qu’il fut remplacé, seulement au XVIIe siècle, par Radegonde qui devint alors la patronne principale. Il faut constater aussi que, fréquemment, Radegonde et Martin ou Marien sont associés et constituent un « couple », en termes mythologiques, une « parèdrerie »;
La légende veut que cette sainte, belle-fille de Clovis, dont on dit qu’elle fonda le monastère féminin de la Sainte-Croix de Poitiers, où elle mourut en 587, soit passée en ce lieu de Combraille vers 570. Au cours d’un voyage qu’elle fit de Poitiers vers Arles, elle serait venue prier sur le tombeau de Saint-Marien, mort une soixantaine d’années auparavant. Mais cela est une légende. Il faudrait d’abord s’assurer que la voie de Poitiers en Arles passait à cette limite.
Ensuite, il est évident que, tout comme pour Saint-Martin, ces saints ne pouvaient être passés partout où une chapelle leur est dédiée... On a retrouvé récemment, et cela a fait grand bruit, la tombe d’une reine Argonde ou Arnegonde dans la nécropole mérovingienne de Saint-Denis.
Et il semble que la mémoire populaire ait confondu deux personnages d’époque différente. Pour les paysans de Combraille, la sainte était appelée Aregonde et non Radegonde. Elle était également honorée dans de nombreuses autres paroisses du Centre, et, curieuse constatation, elle est généralement associée au passage des eaux, à la navigation, en raison de son pouvoir d’éviter les tempêtes et les naufrages
Il semble également que, comme dans de nombreux autres cas, son choix comme protectrice soit en rapport avec son nom. Arnegonde, Aldegonde, ou Argonde sont des termes hydronymiques que l’on peut traduire par le « gué de l’eau ». Arne se retrouve comme nom de cours d’eau (ex. L’Arnon) ; gon, gonge, gonder, gande désignent dans nos parlers locaux le gué ou ga. Gonger, c’est passer à gué ; traverser un terrain boueux ; ragon, en vieux parler berrichon désigne le ravin et même la forme, Radegonde signifie « le gué de la limite », de rande, la limite, et gonde, le gué.
Radegonde, tout comme d’autres saints, protège contre le dragon qu’elle a subjugué par la seule force de sa prière. Tout comme Saint-Front guérit les maux de tête, Radegonde protège contre les dragons. Cette sainte sauroctone a été choisie en raison de l’intonation de son nom, pour lutter efficacement contre les forces maléfiques et souterraines, contre les eaux dévastatrices des gorges. Elle assurait la protection du gué, à la limite, et l’on peut retrouver ce culte en bien d’autres lieux de situation semblable.
« Lorsque tu entendras l’orage, cours vite faire tinter la cloche de Sainte Radegonde et l’orage se dissipera »
On dit aussi, que lors des pèlerinages, les assistants tiraient des pronostics favorables ou non à leur imploration d’après les jeux de lumière sur le visage de la statue de la Sainte.
La croyance aux saints a aujourd’hui disparu, mais il est curieux de constater que, dans la mentalité des ruraux, le nom d’un personnage sanctifié, recouvrait ses vertus, et qu’on lui attribuait des vertus en raison de son nom.
Accessoirement, Radegonde sera guérisseuse et assurera la guérison des enfants débiles, à la fontaine de l’oppidum. Les anciens parlent encore de l’eau de la « bonne Sainte-Argonde ». Et E. Pauly note que dans cette chapelle située en plein bois, ou plutôt en pleine « foudraille », existe une curieuse statue de la sainte. Vue sous un certain angle, et à certaines heures, les joues de la statue paraissent ou très blanches ou très roses. Les pèlerins tiraient de ces jeux de lumière les pronostics les plus favorables à leurs implorations.
Saint-Marien et Sainte-Radegonde sont donc un exemple de parèdrerie tout aussi typique que celui de Saint-Victor et de Sainte-Madeleine de Massiac. Les deux chapelles, par-delà le ravin, protègent les passages. Les sources, celle de Saint-Marien, orientée au Nord, celle de Sainte-Radegonde au sud, se font face. Ces remarques ont fort bien été comprises des paysans pour qui le saint était « un armite que poudaive vaer tute la journade soun amie Radegonde, mais pas de neut, et soulamment pa dessur la ribière », autrement exprimé : « Entre saint Marien et la reine des Gondes, il y a quelque chose, je ne sais pas ce que c’est, mais il y a quelque chose ».
Mais il faut constater qu’un troisième personnage intervient dans ce couple mythique : Sainte-Thèrence dont la légende affirme qu’elle passait le gué de la rivière pour aller voir saint Marien dont la barbe serait conservée dans son tombeau. C’est pourquoi la malice populaire a fait de Marien un « marieur ».
Il est aussi un autre fait mythologique que nous révèle la photo aérienne et l’aspect du terrain, notamment avec le remplissage des vallées par les eaux du barrage. Considérez l’éperon de Saint-Marien, étroit et allongé. C’est un symbole mâle et justement Marien est considéré comme « marieur », tout comme la divinité Mars dont le nom évoque la force génératrice. D’abord dieu agraire (fertilité des sols), il devint divinité militaire (tradition d’un camp romain à Saint-Marien). Il accompagne ses fidèles dans les combats, escorté de la déesse Bellona, la guerrière.
Le site de Sainte-Radegonde lui fait face, de forme triangulaire et évoquant l’élément femelle. Les Anciens ont transposé leurs croyances dans la topographie des sites. Il y a là tous les éléments d’une parèdrerie antique remarquable : celle d’un Mars des confluents associé à une divinité antique (laquelle ?). A ces mythes primitifs, se substituera une mythologie chrétienne tout aussi remarquable.