(D’après Maurice PIBOUL)
Au Vème et VIème siecles, d’immenses forêts recouvraient la Combraille. De nombreux ermites s’isolaient dans leurs profondes solitudes. Grégoire de Tours raconte la vie de l’un deux : Marien, qui s’était retiré dans une grotte au confluent du Cher et de la Tardes, à proximité d’un village. Marien meurt en 513, en tombant d’un pommier, dit-on, et le souvenir de l’ermite s’est perpétué avec un pèlerinage doublé d’une fête populaire, la « Saint-Marien », à proximité d’une chapelle, d’une fontaine et d’une grotte, attributs cultuels indispensables à tout lieu de pèlerinage.
On montrait autrefois une pierre portant l’empreinte du pouce de l’ermite et qu’il aurait laissé lors de son sommeil. De curieux rites sont maintenus depuis longtemps en ces lieux. Les jeunes gens faisaient tinter la cloche de la chapelle pour être sur de convoler.
Un dicton assure que pour se marier dans l’année, il faut aller trois fois à Saint-Marien. On dit aussi qu’il faut tenir un cierge allumé pendant toute la messe. Ces « dit-on » semblent montrer le caractère sexuel du saint, ce qui n’étonnera pas en cette solitude… et si l’on rapproche les nom de Marien et de « marieur », cela évidemment dans l’optique populaire.
Saint-Marien était invoqué aussi pour faire recouvrer la santé aux enfants grognons, débiles et rachitiques, que l’on ne manquait pas de conduire à la fontaine. Celle-ci guérissait aussi les fièvres. A proximité, sur la « tombe » du Saint, encore au début du siècle, on allumait des feux sur les pierres, et l’on faisait brûler des cierges votifs.
Grégoire de Tours affirme que l’ermite Marien s’était retiré dans un « désert ». Sans doute ce mot n’avait-il pas son sens actuel, car ce « désert » paraît avoir été singulièrement occupé, par le village qu’il cite d’abord, mais aussi par le grand bâtiment gallo-romain qui paraît avoir été un castrum, et qui peut-être était en partie détruit à cette époque.
Cette construction semble être en rapport avec le confluent; chargé de surveiller - car on peut penser qu’un trafic s’effectuait par la vallée, notamment celui des amphores -, et surtout de la protéger. La divinité habituelle de ces lieux était le Mars ou Mercure des confluents. Il en était alors ainsi partout. Il est probable que Marien, dont le nom est proche de Mars et de Martin, n’a fait que se substituer aux divinités antérieures pour assurer la protection du gué, du trafic et aussi celle des habitants contre les méfaits des eaux.
Tous les confluents ne sont pas sacrés, certes, mais il faut considérer ici, l’antiquité des lieux, leur situation en limite de cités, dans le cadre exceptionnel des gorges du haut Cher. Et il fait admettre avec E. Thévenot « qu’un confluent est la somme de deux éléments dont chacun est chargé de sens religieux.
« C’est un redoublement d’intensité » aménagé par la nature. La dévotion qui s’attache aux confluents résulte d’un sentiment religieux subtil : deux eaux courantes qui se mêlent, additionnent leurs qualités salvatrices. »
L’idée d’un trafic fluvial sur le haut Cher peut s’envisager aux époques antiques avec les moyens de l’époque. On peut se demander d’où proviennent et comment étaient acheminées les innombrables amphores et leur contenu, dont les débris parsèment le plateau. On connaît les Gaulois amateurs de vin. Ils semblent ne pas s’en être privés ici. On sait que des cours d’eau mineurs étaient flottables autrefois et d’Argouges indique qu’à Chambonchard, « le Cher ne porte point bateau », ce qui peut laisser supposer qu’il en portait au-dessous.
Sur les bords de la Creuse, à proximité d’Argenton, au pont limite de la navigation d’autrefois sur ce cours d’eau, se dresse une chapelle dédiée à saint Marin, et l’on peut par similitude, rapprocher les deux sites. Il faut d’abord convenir que Marin et Marien relèvent de la racine hydronymique par excellence Mar, l’eau. Et leur choix protecteur n’est pas sans raison. Il est probable que le culte de Marien a succédé à d’antiques traditions et pèlerinages, à des rencontres commerciales qui avaient déjà cours à ces confins de trois cités : Biturige, Lemovice et Arverne. La « Saint-Marien » d’aujourd’hui, célébrée vers le 10 octobre, avec sa fête profane, n’est plus qu’un pâle souvenir de ces réunions du passé païen, puis chrétien, où se concentraient périodiquement, venant de vastes territoires, prêtres, seigneurs, marchands, paysans gaulois, gallo-romains, francs, creusois, bourbonnais, auvergnats. Il est des hauts sites, à vocation religieuse, commerciale, militaire, que la nature s’est plu à aménager.